Le nu masculin dans l’art, bien que moins fréquemment abordé que son pendant féminin, occupe une place riche en histoire et en significations. En plus de son attrait esthétique, il reflète des évolutions culturelles fascinantes qui se sont déployées sur plus de 2000 ans. Nous avons sélectionné neuf moments clés pour explorer l'évolution du corps masculin à travers l’histoire de l’art. Suivez-nous pour en découvrir tous les secrets.
1) Le Dieu
La première étape de ce petit tour d'horizon est la Grèce antique. S'étendant sur plusieurs siècles, l'art de la Grèce antique est difficile à résumer, mais il montre une tendance croissante à la ressemblance. Il suffit de voir la différence entre les kouroi (ou "jeunes") du VIIe siècle avant J.-C., avec leurs cheveux longs et leurs corps statiques, et les statues de la période classique (Ve siècle avant J.-C.), avec leur physique athlétique et leur pose décontractée (caractérisée par un petit balancement des hanches), appelée contrapposto.
Les Grecs imaginaient leurs dieux comme des êtres humains parfaits, et les images de ces divinités ont donc une qualité idéalisante qui s'étend à d'autres sujets. Le caractère idéalisant du nu masculin à cette époque est encore plus profond, car la beauté physique était souvent associée à la bonté (dans la philosophie de Platon par exemple). Enfin, il a également été suggéré que les abdominaux ciselés des statues pouvaient être plus qu'un simple plaisir pour les yeux : en tant que peuple militant, les Grecs représentaient des corps masculins semblables à ceux des soldats, avec des structures musculaires qui ressemblaient à des armures.
2) La pécheresse
Au Moyen Âge, le nu masculin fait un virage à 180 degrés : de la nudité fière et ostentatoire de l'Antiquité, la nudité devient gênante. Non seulement la statue nue devient un symbole de la religion païenne de l'Antiquité (ce qui n'était pas bien vu dans la culture dominée par la Bible à cette époque) et il n'y avait pas besoin d'une imagerie similaire dans le christianisme, mais la nudité elle-même se retrouve dans une position plus compliquée.
Associée au péché originel et aux questions d'(im)moralité, la nudité devient presque un sujet de gêne. Cela se reflète dans les corps peints, dessinés et sculptés, qui deviennent minces et élancés, sans le même accent sur le naturalisme.
3) L'homme de la Renaissance
Le naturalisme du nu de la Renaissance n'est cependant pas seulement influencé par la tradition antique, mais témoigne d'un changement de mentalité plus important : au lieu de considérer la vie sur terre comme un simple prologue à une belle vie après la mort (comme au Moyen Âge), la vie sur terre et donc "l'être humain" étaient beaucoup plus appréciés. L'école de pensée associée à cette évolution s'appelle l'"humanisme", et le réalisme du nu à la Renaissance témoigne de cette nouvelle importance et appréciation du corps humain.
Avec un regain d'intérêt pour le naturalisme dans les arts, le nu devient également un lieu où l'artiste peut montrer ses talents : avec ses différentes textures, profondeurs et ombres, le corps devient un grand test artistique. Pour atteindre le naturalisme ultime, les artistes s'impliquent de plus en plus dans l'étude de l'anatomie.
4) Poussés à l'extrême
Au cours du XVIe siècle et au début du XVIIe siècle, il se passe quelque chose de particulier : les artistes commencent à pousser le corps masculin bien au-delà du physique naturaliste et équilibré de l'art antérieur de la Renaissance. Les muscles commencent à se gonfler et les torses et les membres sont tordus dans des positions impossibles. Labataille de Cascina de Michel-Ange (qui ne nous est connue que par des copies d'après l'original perdu) est l'exemple ultime de ce corps masculin plus extrême, de type culturiste.
5) Suivre les règles
La création d'académies d'art dans toute l'Europe du XVIe au XVIIIe siècle (y compris les académies royales d'art en France et en Angleterre) a eu un impact important sur le nu masculin. Non seulement ces académies ont introduit un style très réglementé et classicisé, mais le dessin d'après nature était considéré comme un élément central de l'éducation artistique, de sorte qu'une fois de plus, l'œil pour une structure corporelle réaliste était valorisé. En outre, comme les académies privilégiaient les grands sujets classiques et historiques, le nu masculin apparaît souvent comme un personnage fort, masculin et héroïque.
6) La masculinité en question
À partir de la fin du XVIIIe siècle et au cours du XIXe siècle, l'apparence du corps masculin ne va plus de soi. En France par exemple, après que les guerres napoléoniennes ont montré un aspect moins héroïque des conflits et modifié l'apparence de la population masculine (dont une grande partie est désormais marquée par des cicatrices ou des membres manquants), les artistes expérimentent un autre type de corps masculin, y compris un corps qui n'est pas ouvertement masculin, comme l'Endymion de Girodet. Vers la fin du dix-neuvième siècle, cette tendance persiste (voir par exemple les garçons d'inspiration médiévale de l'art préraphaélite en Angleterre), mais cette époque voit également l'émergence de représentations masculines fortement réalistes par des artistes tels que Courbet et Millet. La vision idéale de la masculinité enseignée dans les académies fait place à des personnes réelles.
7) L'homme changé
Les avant-gardes des XIXe et XXe siècles apportent des changements révolutionnaires au nu : non seulement nous avons déjà assisté à un éloignement de la tradition académique établie dans l'art, mais les avant-gardes commencent à déchirer le tissu même du corps. Des artistes comme Picasso ont fragmenté le corps en petits morceaux, tandis qu'Egon Schiele l'a représenté de manière torturée, que les expressionnistes allemands l'ont peint dans un arc-en-ciel de couleurs et que les surréalistes ont échangé des parties du corps avec des objets.
Il existe de nombreux autres exemples et, peut-être pour la première fois, il devient pratiquement impossible d'identifier un style spécifique de nu. Ce qui unifie vraiment la figure masculine de cette période, c'est un état d'esprit : les limites et la composition du corps ne sont pas finies et peuvent être mélangées.
8) L'homme des masses
Les nus masculins de la fin du XXe siècle constituent une catégorie d'extrêmes : ils vont des figures extrêmement abstraites et expressives de Willem de Kooning aux nus Pop-Art produits en masse, tels que ceux de Richard Hamilton.
La culture de masse influence grandement les représentations du corps par les artistes pop, mais ce n'est pas le seul phénomène culturel nouveau qui s'y reflète. Keith Haring et Basquiat feront plus tard référence à l'art et à la culture de la rue dans leur façon de peindre le corps.
9) L'homme troublant
Depuis les dernières décennies du XXe siècle et jusqu'à aujourd'hui, nous n'avons pas cessé de remettre le corps en question. Le corps féminin en particulier, et son potentiel d'objectivation et d'idéalisation, a fait l'objet de débats passionnés, mais la nudité masculine a elle aussi connu des changements au cours des dernières décennies.
Là encore, il n'y a pas vraiment de type de nu unique, mais les artistes ne se contentent pas de modifier le corps, ils attirent aussi l'attention sur ses qualités et ses complexités les plus inconfortables. Des artistes comme Lucian Freud, par exemple, nous montrent un corps masculin presque trop réel, trop charnu et troublant à regarder. Le corps d'aujourd'hui est conflictuel, politique et parfois carrément difficile à regarder en face. En d'autres termes, nous sommes à mille lieues de la Grèce classique.